vendredi 28 novembre 2014

Coup de rétroviseur n°8 : un jour, j'ai édité chez Casterman

Attention, virage de fou dans ma "carrière".


Nous sommes en 2004, et je décide que la BD sera ma première (et j'espère bien unique) source de revenu. Par le fait d'un heureux hasard, deux événements vont s'entrechoquer et transformer ma vision du métier.
D'abord, je découvre un forum d'artistes-illustrateurs-dessinateurs où traînent Bandini, Tentacle Eye (aka Antoine Carrion), Blacky (Guillaume Singelin) et quelques autres. On discute, on commente les boulots des uns des autres, on fait connaissance et on devient copain...
Je propose d'abord à Bandini de bosser avec moi car j'ai un scénario qui me trotte en tête depuis 7 ans et qui, je pense, correspondrait pas mal à son dessin. C'est Tentacle qui me propose par la suite de lui écrire une histoire et ça me touche profondément tellement j'avais envie de bosser avec lui. Pour Blacky, ça vient deux ans plus tard quand Tentacle me dit qu'il cherche une  histoire...
Mais tout cela serait rien sans une autre rencontre : Didier Borg de chez Casterman.

Là, petite aparté : mon éducation BD a donc commencé par les albums tout public Dupuis. Puis, je suis devenu un goinfre. J'ai bouffé tous les Humanos, les Dargaud, Lombard, Delcourt, Magic strip et j'en passe. Mais il faut bien avouer qu'un éditeur m'avait mis un genou à terre tellement sa production était riche. On y trouvait du Comès, Du Munoz & Sampayo, du Pellejero et Zentner, du Auclair, du Pratt, Du Prado, du Schuiten et Peeters... Bref, Casterman est vite devenu pour moi une espèce de "grall"... avec la collection "Air libre" de Dupuis. 


Retour au récit : un jour je reçois un coup de téléphone d'un copain qui me dit : y'a un nouveau mec chez Casterman, il cherche du monde pour une nouvelle collection. Il me file un contact. J'appelle ! On doit être au printemps car je me souviens surtout d'une conversation au téléphone où je perds trois kilos rien qu'en sueur ! Didier est un type ouvert. Il me demande ce que j'aimerais faire en BD si j'avais carte blanche. Je lui dis "des ones shots à fortes paginations" (faut dire qu'après mes déconvenues en "série", je me dis que l'avenir est aux one-shots), il m'envoie pendant la conversation sa présentation de collection et ô miracle, c'est pile-poil ce que je viens de dire.  Moi, j'y vois une relecture de la collection "roman (à suivre)". Je suis aux anges. je lui fais le pitch de Face Contre Ciel (que je fais avec bandini) et celui du Chant des Sabres (avec tentacle Eye). Il est emballé par les deux. Dans la même journée je reçois un fax de confirmation d'intérêt et les contrats arrivent assez vite.

Bon, au bout de deux ans de boulot, Face Contre Ciel sort. Juste après "l'affaire Obion". Autant dire que sortir dans la même collection qu'un album "mal imprimé" et qui a fait couler beaucoup d'encre (numérique), ça équivaut à sortir sans être poussé ni par les journalistes, ni par son éditeur et pas plus par les libraires.
Le Chant des Sabres, première version sera même pilonné avant publication pour ressortir dans une version 2.0. Exit la couverture souple et le papier premier prix, la collection est maintenant "haut de gamme".


Suivront des années où on a l'impression très illégitime d'écrire une histoire de la BD. Il faut dire que la période est assez dingue et enthousiasmante. Didier Borg refuse des projets, bien sûr, mais il est joueur et curieux. Du coup, quand je lui propose de faire des essais, il est toujours à l'écoute.
Un jour, je lui dis "je voudrais raconter une histoire en écriture automatique et le dessinateur ferait de même. J'écris une page et le dessinateur la dessine le lendemain. Et ainsi de suite jusqu'à la fin". Il me répond "banco". L'album s'appellera Seconde chance


Pour moi, c'est un véritable laboratoire et aussi une véritable école. L'un des "hic" le plus flagrant, malgré tout, c'est que ces idées loufoques ne sont pas suivies dans la communication et promotion des albums. Du coup, quand je fais une série de trois albums avec trois dessinateurs sur le même univers avec à chaque fois des chapitre de 23 pages pour le vendre en version comics aux états unis, on sort bien les albums (sans communication) et surtout sans les vendre à l'étranger. 
Pendant 5 ans, j'ai vécu un rêve de création. Je suis devenu scénariste grâce à Casterman. J'y ai vécu aussi un cauchemar lancinant puisque chaque publication était imparfaite (mauvaise impression, pas de relais presse...). Mais surtout, je n'ai pas publié vraiment chez Casterman. Nous étions à part. Nous étions KSTR. Les auteurs Casterman nous l'ont fait ressentir. Les autres directeurs de collections, les journalistes et les libraires aussi. Il s'en est fallu de peu que le pari réussisse. Et je garde ces années là comme un très bon souvenir. Si certains se souviennent de l'esprit "rock'n'roll" que voulait être la collection KSTR, il faut surtout la voir dans la création et la liberté qui l'accompagnait.Et pas dans les sujets.

On arrive en première phase descendante il y a deux trois ans. Quand les suites demandées par l'éditeur ne se font pas alors que je me suis lancé dessus sans attendre les contrats (que voulez-vous, au bout d'un moment, un oui verbal suffit, on a tendance à y croire. Cela s'appelle la confiance). Après ça, je décide de resigner avec d'autres éditeurs. Histoire de ne pas avoir tous mes projets chez un seul éditeur. 
Et je fais bien. Alors que Temudjin fut refusé qu'en voyant la première page et en écoutant un pitch oral, deux autres éditeurs veulent le signer dans la même journée...


Arrive la dernière phase de mon histoire avec Casterman (pour l'instant) : un jour, Gallimard rachète la maison. Là, c'est un peu normal, mais ça fait toujours bizarre, il y a du flottement. Les projets sont mis sur pause. Puis ça redémarre. Enfin, doucement pour ma part puisque des projets sont stoppés, d'autres acceptés avant la vente ne seront pas signés... Restent trois albums. Deux parce qu'ils sont tellement avancés qu'il serait couillon de ne pas les sortir. Le dernier correspondant miraculeusement à l'une des nouvelles directions. Celui-là, Gueule Noire, sortira d'ailleurs avec un logo Casterman et non KSTR dans les prochains mois (comme Burn out, sorti il y a peu).

Mais je n'ai pas dit mon dernier mot ! Il parait que la maison veut renouer avec le romanesque ! et comme par hasard, c'est mon envie aussi. alors sait-on jamais... c'est comme quand on quitte un logement au bout de 7 ans: on le connait tellement qu'on sait où remettre les meubles si, des fois, on devait ré-emménager. 


Quant au fond, mes 14 albums publiés, seuls Succombe qui doit et Burn out restent au catalogue. Le reste est parti avec l'eau du bain.  Si je n'avais pas mes exemplaires en face de moi, dans mon bureau, je pourrais même croire à un rêve. 
Mais l'important, c'est que ça se soit passé. C'était malgré tout une très chouette expérience.


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