jeudi 12 janvier 2017

Du vieillissement d'une oeuvre en bande dessinée à son obsolescence programmée.

L'idée de patrimoine est assez flou de part chez nous. Certes, les premières éditions Futuro avaient déterré des petites pépites que l'on croyait oubliées. Les jeunes éditions Glénat, cherchant leur place, publiaient aussi des choses rares. Il en allait de même pour MC production et sa jumelle Soleil : sortir des albums inédits de séries publiées ailleurs que l'éditeur principal avait zappés (des complis d'histoires courtes, des premières aventures).
Puis, il y eu une phase de production intensive (pour ne pas dire surproduction) qui fit un rien oublier l'Histoire de la bande dessinée. Ou plutôt, on l'a cantonné aux seuls titres qui avaient déjà connu le succès. S'occuper des Tardi, Bilal et Moebius, oui. Les seconds couteaux, non. Et je ne vous parle même pas de ceux qui se sont pris pour de gentils artisans plutôt que des artistes et qui ont fait carrière en réalisant des pages uniquement pour la presse. Qui va se souvenir des Denys, David Wright, Tony Weare, Arturo Del Castillo,Claude Pascal, René Bastard et autres travailleurs de l'ombre. Déjà, de leur vivant, il n'avait pas eu les honneurs d'être publier en vrai livre. Alors, qu'un éditeur s'intéresse à un truc poussiéreux par la suite, à quoi bon ? Surtout qu'il y a toujours eu le problème de la conservation des œuvres. Une planche dessinée, ça jaunit, ça pourrit, ça s'affadit, ça s'efface... et surtout ça s'égare, ça disparaît des radars... Les films (avant les scans), c'est du pareil au même. Et cela d'autant plus que vous êtes un obscur petit dessinateur.

Aujourd'hui, l'idée de patrimoine existe. Peu, mais elle existe. Dupuis fait un réel travail sur son catalogue. Des toutes petites maisons comme Topinambour tirent des pépites à 150 exemplaires... C'est pas l'extase mais c'est présent (ça participe à la surproduction?). Le petit hic,c'est la qualité des documents utilisés. Les originaux manquants, c'est à base de scans de pages publiées que l'on compile. On a fait certes des progrès en la matière mais ça reste hasardeux. Aux états unis, un éditeur comme Classic Comics Press passe un temps infini à chercher les propriétaires / collectionneurs des pages qui lui manquent pour faire un bouquin digne de ce nom. Ça peut lui demander plusieurs années avant d'arriver à boucler un volume.
Hier, j'ai mangé avec un gentil monsieur qui tentait de m'expliquer qu'il était pratiquement normal que les éditeurs ne publient pas les vieux auteurs car les objectifs commerciaux d'un telle entreprise ne permettraient pas la rentabilité. Outre le fait que la « rentabilité » n'est que la conjugaison entre le prix de vente, le nombre d'acheteurs et le coût de fabrication, il me semble tout de même super inquiétant que la volonté d'avoir une Histoire (de se prendre donc pour un ART), de faire une place au patrimoine (et pas des seuls auteurs dits « majeurs ») soit stoppée net par le seul besoin de rentabilité. N'y a-t-il pas dans notre pays, un Centre National aidant à la production de telles œuvres ? Est-ce qu'il n'existe pas quelques mécènes privés qui pourraient soutenir de leurs petits sous les éditeurs philanthropes ? Je n'ose y croire.

Bon, ça, c'est pour le coté vieux trucs dont tout le monde se torche. Passons à un petit problème qui semble encore moins intéresser les acteurs de notre milieu de doux rêveurs. A commencer par les auteurs eux-mêmes : L'obsolescence programmée !


Depuis que les scans de page existe. Depuis que l'archivage numérique des livres publiés est monnaie courante, on pouvait croire que le vieillissement des œuvres, c'était du passé. Sauf que.
La durée d'une œuvre (hors gros succès commercial) s'est considérablement raccourcie. Je ne parle pas de la durée de vie en librairie qui ferait pâlir d'horreur même un papillon. Je parle de la durée de vie au catalogue. Et donc en stock « chez l 'éditeur. Déjà le tirage a baissé. Puis les retours des libraires passent plus souvent directement au pilon (bah oui, ça coûte moins cher que de s'occuper de voir si l'album est défraîchi, de lui retirer son étiquette de prix et de « louer » l'emplacement de stockage)... Et tout ça avec les nombreuses nouveautés qui poussent le livre vers la sortie, voir l'oubli.
Chez nos amis auteurs, l'archivage des données, c'est un peu la loose. Rien d'anormal : les disques durs, ça meurent aussi. Les pages originales, ça se vend. Ça s'offre. Ça se perd aussi, faute de place et / ou de croyance dans la création d'une grande Œuvre. C'est qu'on a pas tous le melon.

Bref, il reste que l'éditeur pour pouvoir (devoir) archiver les choses correctement.
On passe à un niveau supérieur, que se passe-t-il quand il n'y a plus de stock, ou quand l'éditeur, voyant le peu de ventes, décide de faire le ménage (pilon ou solde) ? Normalement, l'auteur est en droit de récupérer ses droits. Le fait-il ? Souvent non. Pourquoi ? Parce qu'il sait qu'il aura tous les malheurs du monde à refaire publier un échec commercial. Et surtout parce qu'il n'a pas le temps, trop occupé à faire son nouveau bouquin. Promis, si c'est un succès, un vrai, alors il s'occupera de ses anciens albums et il les ressortira. Avant, pas le temps, pas l'argent... pas le courage.
Oui mais si l'auteur voulait récupérer ses droits ? Alors, il faudrait faire un recommandé. Après l'absence de réponse dans un délai légal (souvent absurdement long), il pourrait enfin retrouver l'utilisation pleine de faire de son livre ce qu'il veut ! Youpi ! 
Sauf que. N'ayant plus toutes les pages. Voir n'ayant pas d'archive, il se retrouverait à pouvoir frétiller doucement en se disant « youpi, je peux en faire ce que je veux ». Point barre. À moins qu'il ne demande à son ancien éditeur de pouvoir retrouver les fichiers imprimables. Et là, ô bonheur, on lui demanderait de s’acquitter d'une « petite » somme pour « traitement des sorties d'archives ». 
Donc, là, un résumé s'impose : Tu fais tout ton album. Tu scannes toi même tes pages que tu nettoies, tu graves un CD que tu envoies à ton éditeur. L'album ne se vend pas. Tu te fais lourder par ton éditeur. Tu envoies un recommandé pour récupérer le bébé. Puis, tu payes pour que l'on puisse te renvoyer le CD que tu avais gravé (OK. De temps en temps, tu n'as pas gravé de CD. T'as utilisé un FTP). Je laisse à mes amis auteurs le soin de découvrir combien coûte l'archivage chez leurs éditeurs... Certains (éditeurs) allant même jusqu'à facturer les corrections faites sur les fichiers remis. Ha. Ha. Ha.


On va dire que ça, c'est quand l'éditeur ne fait pas faillite, ou ne revend pas sa boite, en oubliant (non volontairement, faut pas abuser) les fameuses archives.
On va dire que je ne suis pas parano et que les engueulades entre auteurs et éditeurs n’entachent en rien la possibilité de récupérer les fameux fichiers.


Sur la cinquantaine de bouquins que j'ai commis, il ne reste que la moitié disponible aux catalogues de mes amis éditeurs. De ces 25 titres qui pourraient tomber dans l'oubli, j'aimerai en sauver 12. 3 sans obligatoirement le dessin d'origine (il a vieilli, on pourrait refaire l'histoire en mieux). Reste ces 9 titres à s'occuper. 6 au bon vouloir de l'éditeur car je n'ai plus les fichiers. Et je ne compte pas vraiment payer. 

Hier, donc, le gentil monsieur avec qui j'ai déjeuner, me disait que mes coups de gueules étaient assez stériles. Que ça ne faisait pas avancer les choses. Fort de cette appréciation, voici ce que je propose :

-Faisons en sorte que le courrier de l'éditeur annonçant la mise au pilon et/ou la solde fasse office de courrier de libération des droits.
- Faisons en sorte que l'éditeur (et les auteurs) soient obligés de donner les fichiers fournis à l'imprimeur à un organisme tiers qui les stockera pour utilisations ultérieures. Ainsi, l'éditeur n'aura plus la charge de la sauvegarde du patrimoine. Ainsi l'auteur n'aura plus rien à débourser quand il voudra utiliser ce qui lui appartient.

Ainsi, le patrimoine s'écrira, peut-être, plus facilement.






3 commentaires:

Unknown a dit…

Salut Antoine, l'organisme tiers pourrait etre la Cité de la Bd

Unknown a dit…

Salut Antoine, l'organisme tiers pourrait être la Cité de la Bd

Antoine Ozanam a dit…

Salut
C'est marrant, nous en parlions justement aujourd'hui avec Nathalie F. Je disais que la Cité serait l'endroit idéal ! ;)